L'éléphant blanc by Henri Troyat

L'éléphant blanc by Henri Troyat

Auteur:Henri Troyat [Troyat, Henri]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
Éditeur: J'ai Lu
Publié: 2019-04-28T22:00:00+00:00


4

— Le parti, tu le sais, Dimitri, traverse une crise, dit Stiopa en vidant son bol de thé.

Dimitri, la bouche pleine, acquiesce de la tête. Vissarion a allumé une cigarette : l’importance du débat justifie à ses yeux cette exception à la règle. Mais il s’est fixé une limite : six bouffées au plus, pour éviter d’irriter sa gorge. Il a toussé ce matin, au réveil, malgré les jujubes.

— Je croyais qu’on avait changé le comité central, dit Dimitri.

— On a changé le comité central, en effet, mais l’inquiétude est restée, réplique Stiopa. Méfiance, manque d’enthousiasme, paresse intellectuelle et morale. Nous assistons à une éclosion de sectes, de sous-sectes, de groupements, de sous-groupements. Tout cela fait le jeu de la police tsariste. Et aussi des bolchéviks qui nous détestent ! Lénine et ses amis se moquent de nos divergences. Il faut réagir. Des hommes tels que toi peuvent nous aider à reprendre la situation en main…

Dimitri repousse son assiette et passe ses longs doigts osseux dans sa barbe de chanvre. Au milieu du silence revenu, la machine à coudre de Klim s’emballe. Il s’est remis au travail sans attendre que les autres aient fini leur petit déjeuner.

— Arrête ! dit Vissarion. C’est assommant ! On ne s’entend plus !…

Klim cesse de pédaler :

— Voilà !… Voilà !… Je voulais juste coudre les deux derniers panneaux…

Et il revient s’asseoir à un bout de la table, en tenant à la main cette sorte de drapeau funèbre ; à l’autre bout, les bols, la théière, la bouilloire, les assiettes sont rassemblés dans un espace restreint devant les trois convives. Vissarion fait glisser deux doigts subrepticement sur le bord du pot de confiture et se lèche l’extrémité des phalanges.

— Des hommes tels que moi ? dit Dimitri. Qu’entends-tu par là ?

— Des hommes dans la force de l’âge, actifs, résolus, dit Vissarion.

Dimitri secoue la tête :

— Vous ne m’avez pas regardé pour me parler ainsi !

— Tu as à peine cinquante ans ! dit Stiopa.

— De corps, oui, peut-être. Mais d’âme je suis plus âgé que vous !

— Une fois que tu te seras reposé, dit Stiopa, une fois que tu auras remis de l’ordre dans tes idées…

— Est-il possible que vous m’ayez fait venir pour cela ?

— Pour cela et pour bien autre chose, dit Vissarion.

— Quand les intérêts de la politique se conjuguent avec ceux de l’amitié, il s’en dégage une force capable de soulever les montagnes, renchérit Stiopa.

— Les intérêts de la politique, ça m’est bien égal, murmure Dimitri avec un sourire. Mais ceux de l’amitié… L’amitié, ah ! oui. L’homme d’abord. Au-dessus de tout. La société procède de l’homme, comme le Saint-Esprit procède du Père.

Cette formule aux résonances mystiques fait dresser l’oreille à Vissarion. Oubliant qu’il a déjà fumé une cigarette, il en allume une autre nerveusement.

— Qu’est-ce que tu chantes là ? dit-il. Ne serais-tu plus sincèrement et entièrement socialiste ?

— Si, dit Dimitri. Plus que jamais. À ma façon. Je suis partisan d’une société sans classes, mais je



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